Paradoxe et Micro-Dosage
Être Adulte c'est réussir à rester sur point de tension entre obéir aux règles en place (comme on l'attend d'un.e adulte) et désobéir aux règles (comme un.e adulte peut le faire)
C'est trouver le point d'équilibre entre réussir à rester intégrer au groupe tout en donnant voix à ce qui nous rend unique et donc nous démarque.
Dans les premières décennies de notre vie on nous apprend à penser et à nous comporter pour intégrer le groupe. C'est un apprentissage essentiel car vivre en isolation tue l'âme. Mais à trop bien s'intégrer on finit par s'effacer, et disparaître dans un groupe tue l'âme aussi. Et affaiblit le groupe. Or ce qui démarque peut exclure, et l'exclusion, c'est une petite mort.
L'entrée dans le monde adulte c'est la découverte vertigineuse et violente que plus personne ne va assumer nos choix. Nous sommes responsables de nos actions et de leurs conséquences. Pour déporter la responsabilité d'être adulte nous avons donc créé des systèmes qui nous permettent de prétendre que la vie a une expression linéaire et logique (si tu fais ça, puis ça, puis ça, tu arriveras là et tu auras ça et ça).
Je n’essaye pas de suggérer qu’aller à contre-rythme voire à contre-sens du groupe est facile. Prendre le temps de ralentir, de questionner, de faire différemment demande une énergie souvent titanesque et vouloir éviter d’être confronté.e à la sensation de sentir son être glacé par les sentiments de solitude et d'incompréhension est compréhensible.
Beaucoup de personnes se paralysent en entrant dans l'ère Adulte. Trop de choix, pas assez de visibilité sur le résultat, et une conscience claire que beaucoup de personnes nous lanceront le mauvais oeil pour nous voir échouer si on fait différemment du groupe.
Et nous arrivons sur le Paradoxe de l'Adulte : pouvoir tout faire et donc renoncer1.
C'est tellement agréable de "bien faire", d'être récompensé.e pour son obéissance, de pouvoir se projeter de façon logique et prévisible. Alors que c'est tellement dur de s'écouter changer, de s'autoriser une petite tangente ou un gros écart qui nous apportera on-ne-sait-pas-quoi-et-peut-être-rien-en-plus.
Je suis convaincue que c'est du groupe que vont émerger les solutions créatives et joyeuses pour transformer le narratif qu'on a construit et qui est en train de nous détruire. On le sait, le nombre fait la force. Mais c'est la diversité qui fait la qualité de l'impact. De la même façon qu'on ne peut se reproduire indéfiniment avec les membres de notre famille sous peine de s’affaiblir biologiquement et mourir, on ne peut pas se développer si on ne fait qu'obéir. Obéir c’est répéter sans modifier et répéter sans modifier c’est devenir caduque, car tout le reste change autour de nous. Être adulte c'est aussi savoir désobéir.
Je ne parle pas (je ne parle jamais) d’envoyer toute sa vie voler. La désobéissance dont je parle est une invitation à aller explorer vos frontières, vos marges, vos angles morts pour les décaler d'un millimètre et continuer, inlassablement, jusqu'à ce qu'à la fin on se retourne et on réalise qu'on a étiré 132km de soi. Et s’étirer c’est étirer le groupe par le jeu de la porosité magique qui nous lie entre nous. S’étirer c’est faire évoluer le groupe.
L'art d'être adulte c'est de réussir à rester intégrer au groupe tout en apportant sa valeur ajoutée. Notre vraie valeur ajoutée réside dans cet espace frondeur auquel nous seul.e avons accès et elle ne prend sens et se déploie que lorsqu'elle est partagée avec le groupe. Savoir qu'on est différent.e mais le garder caché c'est se nier et c'est affaiblir le groupe.
Penser à tout ça c’est une chose, mais idéalement j’aime confronter la théorie à la pratique en éprouvant les idées sur le terrain. Mon idée théorique c'est que si les membres du groupe (nous) devenons expert.e.s dans le micro-dosage d'expression individuelle alors on étirera le monde vers un monde qu’on ne peut même pas encore imaginer. Ça, ça m’intrigue fort. Si on s'étire, on s'étend, si on s'étend, on intègre de nouveaux espaces, si on intègre de nouveaux espaces, on est obligé.e.s de mettre à jours les règles.
Je ne suis qu’un individu je ne vais donc pas changer le monde, mais je peux participer à essayer d’atteindre collectivement ce surprenant chaos créatif. Ma contribution pratique à cette théorie c’est l’atelier Etirement2, pour donner des outils et apprendre à faire du micro-dosage d’expression individuelle.
Comme dirait la poétesse Américaine Mary Oliver3
C'est une chose sérieuse
Que d'être simplement en vie
En ce matin frais
Dans ce monde cassé
Et c’est une chose sérieuse que de vouloir se sentir vivant.e et exprimé.e dans ce groupe en train de muter.
Nathalie
tout en prenant une montagne de responsabilités pour alimenter la machine qui nous permet de ne pas faire de choix que nous devrions assumer.
It is a serious thing // Just to be alive // On this fresh morning // In this broken world