Note d’honnêteté : le contenu de cette newsletter est un partage de réflexions qui ont trouvés naissance dans mon coeur suite à une expérience de terrain prolongée du penpalisme. Comme vous le réaliserez d’ici la fin de cette lecture, si le penpalisme offre beaucoup, il brouille également les contours du crédit (“qui mérite crédit pour telle idée ou tel mot ?”). Le texte que vous vous apprêtez à lire est imbibé de mes idées et ces dernières sont nourries de mes échanges avec mes penpals. J’officialise ici ma gratitude, les personnes concernées se reconnaîtront.
Donc le penpalisme c’est quoi ?
Déjà c’est un mot que j’ai inventé parce qu’inventer des mots c’est encore gratuit, que ce n’est pas l’apanage des anglo-saxons et que pour changer le monde il faut souvent changer les mots que l’on utilise (et les blagues que l’on fait).
Le penpalisme est inspiré du mot anglais1 penpal qui veut dire littéralement un.e ami.e (pal) de crayon (pen). Autrement dit, un.e ami.e d’échanges. La traduction française de penpal c’est correspondant.e et j’avoue trouver ce mot froid et donc inadapté à ce que je souhaite partager avec vous, à savoir l’incroyable force de croissance et de joie que procure l’existence d’un.e penpal dans sa vie.
Le penpalisme c’est donc l’art de communiquer de façon approfondie, honnête et généreuse sur des idées et2 des émotions à travers un florilège de messages écrits et audios.
C’est la distance qui nous rapproche
Un.e penpal est rarement une personne impliqué.e dans la logistique du quotidien mais plus souvent quelqu’un.e qui se trouve à quelques dizaines, centaines ou milliers de kilomètres, avec qui vous aimez échanger mais, pour une raion ou pour une autre, ne pouvez pas le faire de visu. Pour réduire cette distance visuelle, cette impossibilité de partager le palpable ne restent donc que les mots, écrits ou oralisés.
Échanger avec des personnes que l’on ne voit pas a toujours été un truc chez l’humain.e depuis qu’on peut le faire. C’est un peu étonnant quand on y pense, pourquoi a-t-on besoin de parler aux absent.e.s ? Et encore plus déroutant, pourquoi est-il plus facile de formuler des idées complexes et des mises-à-nue par le penpalisme, plutôt que de le faire de vive voix, les yeux dans les yeux auprès des personnes qui nous entourent dans notre quotidien ?
Vivre et ressentir le monde c’est déjà super, mais il y a une épaisseur émotionnelle bouleversante qui s’ajoute lorsque l’on vit et ressent le monde en sachant qu’on va pouvoir le raconter à une autre personne qui va accueillir notre partage et rebondir dessus. Et parce que l’autre est loin, parce qu’iel ne sait pas ce que nous vivons et n’attends donc rien de particulier, nous avons la possibilité de partager sur ce qui nous meut et nous questionne sans autre entrave que notre censure personnelle. C’est la distance physique qui, précisément, nous offre la possibilité de nous rapprocher par les mots en communiquant.
À cela s’ajoute le fait de savoir que l’autre fait exactement le même exercise de vivre et de ressentir le monde avec en tête l’idée de se raconter à nous. Vivre parallèlement tout en se pensant mutuellement pour se rejoindre est vecteur de vibrations à haute intensité. Si vous aimez ressentir la vie c’est donc très agréable.
Un échange horizontal fait d’offrandes
Une précision importante c’est que le penpalisme est un accord mutuel entre deux personnes qui se solidifie sur le temps long, c’est à dire qu’avoir une conversation très intéressante avec quelqu’un.e ne signifie pas être penpal avec cette personne. Ça n’est pas grave, ce n’est pas un concours, vous pouvez avoir plein de conversations passionnantes avec plein de personnes différentes et c’est déjà une chance.
Dans le penpalisme il y a une notion d’approfondissement, de découverte de soi et de l’autre (dans cette ordre là) qui n’est rendue possible que parce qu’il y a un suivi conscientisé dans les conversations. On reprend un point, on reparle d’une référence qui a été partagé, on s’affine ensemble et le désir est mutuel3.
Le penpalisme n’est pas non plus une danse de la séduction déguisée. Connecter intellectuellement et émotionnellement avec quelqu’un implique un niveau d’engagement profond et puissant, mais les échanges sont honnêtes et n’ont donc pas pour but de séduire l’autre par notre intelligence, parce que dès lors que l’on veut séduire, on cherche à gommer ses défauts, à se présenter sous son meilleur jour, à être drôle ou fin.e ou profond.e. La séduction c’est très agréable et l’envie de séduire peut-être une belle porte d’entrée, mais rester bloquer dans une dynamique de séduction finit par épuiser.
Le niveau supérieur à la séduction c’est l’exploration ensemble dans une relation horizontale et nue. Et c’est précisément ce qu’offre le penpalisme4, une horizontalité exigeante et ambitieuse.
Le penpalisme tire sa puissance de l’autorisation que l’on se donne à parfois formuler des idées brouillonnes et maladroites parce que l’envie et le besoin de partager à l’autre ce balbutiement est plus fort que le besoin de contrôler son image. Parce que l’on sait que non seulement cette fragilité sera reçue avec curiosité et bienveillance, mais qu’en plus l’autre va nous renvoyer la balle pour continuer à nous mettre en mots et donc à définir puis étirer nos contours.
Car c’est en devant se mettre en mots à l’autre que l’on découvre qui l’on est.
On peut passer sa vie dans sa tête et dans son coeur à emmagasiner des lectures, des expériences, des pensées. Mais notre intériorité ne prends existence que lorsqu’on la sort de nous même. Et elle ne fleurit que lorsque l’on laisse d’autres l’accueillir et y ajouter leur couche d’iels-même.
C’est pour cela que je dis que le penpalisme nécessite horizontalité et offrandes. Il faut offrir à l’autre une vulnérabilité de soi en s’efforçant à se mettre en mots tout en acceptant que ces mots sont des réductions de nous, et espérer qu’en retour, l’autre nous prenne au sérieux, nous accueille avec bienveillance, et rebondisse à son tour en faisant une offrande similaire.
Lorsque ce niveau de communication arrive, une clé ouvre une porte qui révèle un nouvel horizon sans limites : celui de la co-création. La magie de l’autre c’est qu’on ne peut pas prédire ce qu’iel entend de ce que l’on dit, ce qui va résonner en iel et donc sa réponse. La magie du penpalisme, c’est cet accord tacite qu’il n’y a pas de bonne réponse, c’est une conversation sans queue ni tête qui se transforme au fil du temps pour suivre nos transmuations.
Tout est possible dans le penpalisme. Dans un monde qui étouffe sous le poids des prédictions défaitistes, avoir un espace de jeu sans limites et protégé d’où tout peut émerger est un troisième poumon qui oxygène directement l’âme.
Je te laisse un message pour te partager cette pensée, cette ideé, cette émotion ; je te fais une offrande. Je n’ai aucune idée de ce que tu vas me répondre ni quand tu vas le faire. Mais je sais que tu vas y réfléchir et renvoyer quelque chose qui va permettre aux braises de cette converstion de continuer à rougeoyer. Sous les cendres, la braise. Derrière les nuages, le soleil.
Une plongée en soi et en l’autre arythmique et continue
Une autre raison pour laquelle je pense qu’il est plus aisé de parler en profondeur avec les personnes qu’on ne voit pas au quotidien est que la distance nous offre le luxe du temps. Le temps d’asborber, de lire, de relire, d’écouter, de réécouter.
En 2022 nous sommes dans une situation idéale (vous avez bien lu) pour avoir des penpals. Nous pouvons prendre le temps de réfléchir et de répondre, et une fois que l’on est prêt.e à envoyer notre message, être sûr.e que l’autre le reçoit (déjà) instantanément (ensuite). L’instantanée offre la possibilité du live, de ces phases de communication intenses lorsque nous sommes en ligne au même moment.
Nous pouvons donc nous offrir le luxe ultime de nous laisser porter par l’ivresse d’un échange profond et immédiat tout en ayant la possibilité de prendre une minute, un jour ou une semaine à soi avant de répondre. Coût de l’opération : zéro euro, maxi générosité.
La mort de l’emoji, la naissance de la voix
Comme tout le monde, je passe mes journées à envoyer des messages pour échanger sur des “choses” avec mes ami.e.s, ma famille, mes collègues, des connaissances. Mais avec le penpalisme j’ai appris à faire l’effort d’aller toujours un peu plus loin, de retomber amoureuse du langage et d’accepter une bonne fois pour toutes que pour ressentir pleinement la magie de la vie il faut pouvoir la partager, et idéalement sur le temps long et profond.
Aller un peu plus loin cela signifie la mort de l’emoji. À remettre en mots ce qui se cache derrière ce résumé picto, à assumer sa ponctuation, à éviter le coeur pour dire qu’on a vu, à prendre le temps de défroisser un condensé de réaction. C’est donc, naturellement, s’apercevoir qu’un mot ne peut suffire, devoir en trouver d’autres, et se replonger dans le langage pour être sûre que l’autre nous comprenne et donc apprendre à se comprendre pour pouvoir savoir ce que l’on veut dire. Vous voyez la spirale vertueuse qui se dessine ici et l’effort que cela demande. Offrande, offrande…
En 2022 on a la chance (encore ?!) de pouvoir alterner écrit et oral. Apprendre à s’écrire et apprendre à se dire sont deux exercises très différents et complémentaires. Je suis convaincue qu’apprendre à oraliser sa pensée est essentiel et pouvoir le faire avec un.e penpal c’est une chance. On apprend à moduler sa voir, à accepter ses hésitations, ses silences, ses bruits. On apprend à synthétiser sa pensée aussi. Entendre et pouvoir réécouter l’autre est une des nouvelles expériences de l’intime.
Il y a quand même du bon à vivre au 21e siècle.
L’antichambre du Scenius
Souvenez-vous le scenius c’est cette idée proposée par Brian Eno qu’il n’y a pas un génie au-dessus du groupe, mais un groupe de personnes qui en cumulant leur apport singuliers forment un scenius. Le génie par le groupe quoi.
Et bien le penpalisme pour moi c’est l’antichambre du scenius. C’est un espace intime, privé et safe où l’on apprend à deux à développer son génie pour aller ensuite l’offrir et le connecter au collectif. Si vous avez envie de trouver votre scenius et de développer votre genius, avoir un.e penpal me semble une excellente porte d’entrée.
Pour le meilleur comme pour le pire nous ne créons rien seul.e. Le penpalisme permet l’étirement de soi par le partage à l’autre puis par l’accueille de son retour. De cette mise en mots émergent des possibles qui ne peuvent que voir le jour parce qu’il y a entrée en contact à l’autre.
Vous l’aurez compris, le penpalisme réunit tout ce que j’aime, de l’intensité, du plaisir, et la possibilité de co-créer le monde. Si ce texte inspire votre épiderme, je vous encourage à explorer la possibilité de trouver un.e penpal. Suivez votre curiosité vers un.e humaine, faites une offrande et l’effort d’aller un peu plus loin dans vos réponses, voyez ce que ça donne, continuez, arrêtez, répétez.
Aussi, allez voter5.
Nathalie
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J’ai conscience de l’ironie, mais si j’empreinte aussi souvent aux anglo-saxons c’est parce qu’iels ont un sens de l’efficacité qui me parle.
Je mets en gras pour mes cartésien.nes qui aiment à croire que les idées sont des scalpels d’objéctivité, or une idée sans émotion n’a fait que la moitié du travail. C’est un peu une feignasse. Une idée avec une émotion assumée, c’est ce qu’on recherche.
Si vous faites une offrande à quelqu’un.e qui ne réagit pas, passez votre chemin, n’imposez pas votre mise à nue et ne le prenez pas personnellement. Il y a mille raisons pour lesquelles une personne peut ne pas souhaiter développer une penpalité avec vous et qui n’ont rien à voir avec votre valeur personnelle.
Ce qui ne veut pas dire que amour et penpalisme sont incopatbiles mais c’est une autre histoire.
Cette phrase perdra son sens le 20 juin 2022